Préliminaires
1. — Le problème.
On peut envisager l'analyse du discours à partir de deux types de
problèmes qui, en fait, sont liés. Le premier concerne le prolongement de
la linguistique descriptive au-delà des limites d'une seule phrase à la fois.
Le second concerne les rapports entre la « culture » et la langue (c'est-à-dire
entre le comportement non-verbal et le comportement verbal).
Le premier problème se pose parce que la linguistique descriptive
s'arrête généralement aux limites de la phrase. Ceci ne résulte pas d'une
décision a priori, car les techniques linguistiques ont été élaborées pour
permettre d'étudier tout énoncé, quelle qu'en soit la longueur; mais il se
trouve que, dans toutes les langues, presque tous les résultats obtenus
concernent un type d'énoncé relativement court qu'on peut appeler phrase.
Autrement dit, quand on établit une interdépendance dans l'occurrence
de deux éléments A et B, il se trouve presque toujours que ces deux él
éments sont considérés comme se présentant dans une même phrase. On
peut dire, par exemple, que les adjectifs anglais se trouvent avant le nom
ou après certains verbes (dans la même phrase) : the dark clouds, the future
seems bright, mais il est rare que nous puissions établir des interdépen
danceqsui dépassent les limites de la phrase, par exemple si le verbe
principal d'une phrase a tel suffixe de temps, le verbe principal de la
phrase suivante aura tel autre suffixe de temps. Nous ne pouvons pas dire
que, si une phrase est; de la forme NV, la suivante sera de la forme N.
Tout ce que nous pouvons dire, c'est que la plupart des phrases sont de
la forme NV, que quelques-unes sont de la forme N, etc., et que ces
structures figurent dans diverses séquences.
C'est ainsi que la linguistique descriptive, partie pour décrire les
occurrences d'éléments dans tout énoncé quelle qu'en soit la longueur,
les décrit finalement surtout en fonction des autres éléments de la même
phrase. On ne s'est pas trop inquiété de cette limitation, parce qu'elle
n'a pas empêché l'élaboration de grammaires adéquates : la grammaire
expose la structure des phrases; le locuteur construit chaque phrase par
ticulière conformément à cette structure et produit sa propre séquence
de phrases.
L'autre problème, celui des rapports entre le comportement (ou situation sociale) et la langue, a toujours été considéré comme extra
linguistique. La linguistique descriptive ne se préoccupe pas du sens des
morphèmes et, bien qu'on puisse essayer de tourner la difficulté en parlant,
non de sens, mais de la situation sociale et intersubjective dans laquelle
l'énoncé est produit, la linguistique descriptive n'est pas armée pour tenir
compte de la situation sociale : elle peut seulement définir l'occurrence
d'un élément linguistique en fonction de l'occurrence d'autres éléments
linguistiques. Les études menées sur les rapports entre la « culture » et la
langue n'ont donc pas pu bénéficier des travaux distributionnels récents.
Ainsi, elles font l'inventaire des sens exprimés dans la langue en étudiant
le stock lexical; ou elles tirent des conclusions du fait que, dans une cer
taine langue, un certain groupe de sens s'exprime par le même morphème;
ou elles discutent des nuances de sens et d'emploi d'un mot en le rappro
chant d'autres (par exemple en stylistique). Elles ont aussi souligné cer
tains points comme le fait qu'il faut considérer le sens global des syntagmes
et non la somme des sens des morphèmes qui les constituent :
ainsi « How are you? » est une formule de politesse plutôt qu'une question
sur la santé de l'interlocuteur. Cet exemple illustre bien la corrélation
entre le discours et la situation sociale. De même on a étudié des caracté
ristiques de la personnalité dans l'énoncé en rapprochant les traits li
nguistiques récurrents d'un individu avec des traits récurrents de son
comportement et de sa sensibilité 2.
2. Nous considérons que les corrélations entre personnalité et langue ne sont pas
simplement liées aux corrélations entre culture et langue, mais qu'elles en sont un cas
particulier. La raison d'être de ce point de vue est que la plupart des caractéristiques
individuelles d'un énoncé (à distinguer des caractéristiques phonétiques) sont en cor
rélation avec les particularités de personnalité qui proviennent de l'expérience de l'i
ndividu dans des situations interpersonnelles conditionnées socialement.
simplement liées aux corrélations entre culture et langue, mais qu'elles en sont un cas
particulier. La raison d'être de ce point de vue est que la plupart des caractéristiques
individuelles d'un énoncé (à distinguer des caractéristiques phonétiques) sont en cor
rélation avec les particularités de personnalité qui proviennent de l'expérience de l'i
ndividu dans des situations interpersonnelles conditionnées socialement.
2. — Distribution a l'intérieur du discours.
L'analyse distributionnelle ou combinatoire à l'intérieur d'un dis
cours considéré comme un tout spécifique se révèle pertinente pour l'étude
de ces deux problèmes.
D'une part, elle nous permet de dépasser la limitation à la phrase
de la linguistique descriptive. Alors que nous ne pouvons pas définir la
distribution des phrases (ou plus généralement une quelconque relation
entre les phrases) dans un ensemble arbitraire de phrases prises dans une.
langue donnée, nous pouvons obtenir des résultats précis sur certaines
relations dépassant les limites de la phrase si nous ne considérons que les
phrases d'un seul discours suivi, c'est-à-dire celles qui ont été prononcées
ou écrites les unes à la suite des autres par une ou plusieurs personnes
dans une seule situation. Cette limitation de l'analyse au discours suivi
n'en diminue pas l'utilité, puisque toutes les occurrences de la langue ont
une cohérence interne. La langue ne se présente pas en mots ou phrases indépendantes, mais en discours suivi, que ce soit un énoncé réduit à un
mot ou un ouvrage de dix volumes, un monologue ou une discussion
politique. Les ensembles arbitraires de phrases ne présentent en fait
aucun intérêt, si ce n'est pour vérifier la description grammaticale; et il
n'y a rien d'étonnant à ce que nous ne puissions pas trouver d'interdépen
danenctree d es phrases ainsi assemblées. La succession des phrases dans un
discours suivi constitue, au contraire, un domaine privilégié pour les
méthodes de la linguistique descriptive, puisque celles-ci ont pour objet
la distribution relative des éléments à l'intérieur d'un énoncé suivi quelle
que soit sa longueur.
D'autre part, l'analyse distributionnelle à l'intérieur d'un seul dis
cours, considéré individuellement, fournit des renseignements sur certaines
corrélations entre la langue et d'autres formes de comportement. La raison
en est que chaque discours suivi est produit dans une situation précise
— qu'il s'agisse d'une personne qui parle, ou d'une conversation, ou de
quelqu'un qui se met de temps en temps à son bureau pendant un certain
nombre de mois pour écrire un type défini de livres dans une certaine
tradition, littéraire ou scientifique. Cette co-occurrence de la situation et
du discours ne signifie pas, bien entendu, que les discours produits dans
des situations semblables doivent nécessairement avoir certaines carac
téristiques , formelles en commun, ni que les discours produits dans des
situations différentes doivent présenter certaines différences formelles;
elle ne fait qu'expliquer ou permettre l'existence de ces corrélations for
melles.
Il reste à prouver, à partir de données de fait, que ces corrélations
formelles existent bien en effet, que les discours d'un individu, d'un
groupe social, ou relevant d'un style particulier, ou portant sur un certain
thème, , présentent non seulement des significations propres (dans leur
choix des morphèmes), mais aussi des traits formels caractéristiques. Nous
ne parlerons pas ici du choix particulier des morphèmes, mais on peut
étudier les caractéristiques formelles de ces discours par des méthodes
distributionnelles appliquées à l'intérieur de chaque texte; et le fait de
leur corrélation avec un certain type de situation donne un statut de
signification! à l'occurrence de ces caractéristiques formelles.
L'analyse distributionnelle ou combinatoire à l'intérieur d'un dis
cours considéré comme un tout spécifique se révèle pertinente pour l'étude
de ces deux problèmes.
D'une part, elle nous permet de dépasser la limitation à la phrase
de la linguistique descriptive. Alors que nous ne pouvons pas définir la
distribution des phrases (ou plus généralement une quelconque relation
entre les phrases) dans un ensemble arbitraire de phrases prises dans une.
langue donnée, nous pouvons obtenir des résultats précis sur certaines
relations dépassant les limites de la phrase si nous ne considérons que les
phrases d'un seul discours suivi, c'est-à-dire celles qui ont été prononcées
ou écrites les unes à la suite des autres par une ou plusieurs personnes
dans une seule situation. Cette limitation de l'analyse au discours suivi
n'en diminue pas l'utilité, puisque toutes les occurrences de la langue ont
une cohérence interne. La langue ne se présente pas en mots ou phrases indépendantes, mais en discours suivi, que ce soit un énoncé réduit à un
mot ou un ouvrage de dix volumes, un monologue ou une discussion
politique. Les ensembles arbitraires de phrases ne présentent en fait
aucun intérêt, si ce n'est pour vérifier la description grammaticale; et il
n'y a rien d'étonnant à ce que nous ne puissions pas trouver d'interdépen
danenctree d es phrases ainsi assemblées. La succession des phrases dans un
discours suivi constitue, au contraire, un domaine privilégié pour les
méthodes de la linguistique descriptive, puisque celles-ci ont pour objet
la distribution relative des éléments à l'intérieur d'un énoncé suivi quelle
que soit sa longueur.
D'autre part, l'analyse distributionnelle à l'intérieur d'un seul dis
cours, considéré individuellement, fournit des renseignements sur certaines
corrélations entre la langue et d'autres formes de comportement. La raison
en est que chaque discours suivi est produit dans une situation précise
— qu'il s'agisse d'une personne qui parle, ou d'une conversation, ou de
quelqu'un qui se met de temps en temps à son bureau pendant un certain
nombre de mois pour écrire un type défini de livres dans une certaine
tradition, littéraire ou scientifique. Cette co-occurrence de la situation et
du discours ne signifie pas, bien entendu, que les discours produits dans
des situations semblables doivent nécessairement avoir certaines carac
téristiques , formelles en commun, ni que les discours produits dans des
situations différentes doivent présenter certaines différences formelles;
elle ne fait qu'expliquer ou permettre l'existence de ces corrélations for
melles.
Il reste à prouver, à partir de données de fait, que ces corrélations
formelles existent bien en effet, que les discours d'un individu, d'un
groupe social, ou relevant d'un style particulier, ou portant sur un certain
thème, , présentent non seulement des significations propres (dans leur
choix des morphèmes), mais aussi des traits formels caractéristiques. Nous
ne parlerons pas ici du choix particulier des morphèmes, mais on peut
étudier les caractéristiques formelles de ces discours par des méthodes
distributionnelles appliquées à l'intérieur de chaque texte; et le fait de
leur corrélation avec un certain type de situation donne un statut de
signification! à l'occurrence de ces caractéristiques formelles.
3. — Combinaison, avec la grammaire.
On voit donc que la méthode présentée ici vient d'une application
des méthodes distributionnelles de la linguistique à un discours à la fois,
considéré comme un tout' spécifique. On peut s'en servir directement sur
un texte, sans faire appel pour son étude à aucune connaissance linguis
tique autre que les limites des morphèmes; ceci est possible parce que
l'analyse distributionnelle est une méthode élémentaire, qui consiste sim
plement à établir l'occurrence relative des éléments qui, dans le cas parti culier, sont des morphèmes. Pour montrer la validité de la méthode, ou
pour pouvoir éventuellement l'appliquer à un matériau non-linguistique,
il convient de n'utiliser aucune autre connaissance préalable que les
limites des éléments.
Si cependant nous nous intéressons non seulement à la méthode,
mais encore à ses résultats, si nous voulons l'utiliser pour découvrir tout
ce qu'il est possible de trouver sur un texte particulier, il est utile de la
combiner avec la linguistique descriptive. Dans ce but, il ne faut utiliser
que les règles de la grammaire de la langue en question qui sont vraies
pour toute phrase ayant une forme donnée. Par exemple, à partir de toute
phrase française de la forme Nj V N2 (Ainsi le chasseur tue le lion), on
peut obtenir une phrase où l'ordre des syntagmes nominaux est inverse
N2 — Nx (le lion — le chasseur) en changeant la forme verbale 3, le lion
est tué par le chasseur. Le recours à ce genre d'informations grammaticales,
dans l'analyse d'un texte, se justifie par le fait que, puisque cette règle
s'applique à toute phrase française de la forme N2 V N2, elle doit donc
aussi être applicable à toute phrase de la forme N-|_ V N2 du texte qui nous
intéresse, à la seule condition, naturellement, que ce soit du français. Et
ce recours à la grammaire permet dans bien des cas de pousser plus loin
l'application de la méthode d'analyse du discours.
Nous verrons ceci plus en détail à la section 7.3.; mais il faut signaler
ici que cet usage de l'information grammaticale ne remplace pas le travail
qui pourrait être effectué par la méthode d'analyse du discours et n'affecte
en rien l'autonomie de cette méthode, il ne sert qu'à transformer certaines
phrases du texte en phrases grammaticalement équivalentes (cf. ci-dessus
la transformation de Nj V N2 en N2 V* Nx), pour rendre plus aisée l'appli
cation de la méthode d'analyse du discours, ou pour la rendre possible
dans certains passages du texte où elle ne l'était pas auparavant. Et nous
verrons qu'il ne s'agit pas de décider arbitrairement quand et comment
appliquer ces transformations grammaticales, mais que c'est la structure
même du texte qui les détermine.
On peut pousser plus avant encore l'application de la méthode d'ana
lysed u discours dans des textes particuliers si on utilise, non seulement les
résultats ordinaires de la grammaire, mais si on introduit également dans
la linguistique descriptive l'étude des distributions spécifiques des mor
phèmes individuels; dans certains cas, en effet, comme on le verra à la
section 7.3., on aimerait pouvoir avoir des renseignements non plus sur
toute une classe de morphèmes (comme la transformation de tout V en
V*), mais sur un certain membre de cette classe, sur une restriction d'oc
currence qui est vraie pour ce morphème-là, mais non pour les autres; on
n'a pas toujours à l'heure actuelle de tels renseignements, mais il est pos-
3. Dans ce cas de transformation du verbe correspondant à une inversion du sujet
(N1 ci-dessus) et de l'objet (N2), on appellera la nouvelle forme verbale « forme conjointe
de la première » et on l'écrira V*. La forme conjointe d'un verbe actif est donc le passif
et vice versa.sible de les obtenir par des méthodes qui, fondamentalement, sont celles
de la linguistique descriptive.
Enfin, on peut quelquefois pousser plus avant l'application de l'ana
lyse du discours dans des textes particuliers en tirant des renseignements
non seulement de la grammaire de la langue mais aussi d'une analyse des
criptive de l'ensemble, écrit ou parlé, dont le texte fait partie : on peut
considérer cette masse plus vaste de matériau comme le dialecte dans
lequel a été écrit ou dit le texte en question, et on peut dire, comme préc
édemment, que toute conclusion distributionnelle vraie pour toutes les
phrases d'une forme donnée dans ce dialecte est vraie aussi de toute phrase
de cette forme dans le texte en question.
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